24 février 2022
“Apprendre à Voir” pour transmettre le beau
L’ILFM propose cette année un cycle de cours Apprendre à Voir destiné aux élèves en formation initiale. Pourquoi ce choix ?
Les parcours Apprendre à Voir, selon l’intuition géniale de Jean Ousset dans les années soixante, demeurent d’une grande pertinence et actualité pour faire connaître et aimer notre civilisation, sans passer par le discours ou par des notions de moins en moins bien comprises.
Par la description et l’observation d’œuvres projetées en groupe, s’imprégner de l’esprit de la culture européenne, lever des malentendus, donner des clés pour entrer dans les tableaux ou tourner autour des sculptures, susciter l’admiration et l’envie d’en savoir plus, comprendre une période historique par ce qu’elle laisse dans les arts.
Apprendre à se concentrer sur une image fixe.
Pour nous éducateurs et pour les élèves, il est bon d’expérimenter l’observation en groupe d’une œuvre projetée et fixe, les yeux orientés vers une image statique. Au départ, cet exercice demande un effort, si loin de nos habitudes de supports visuels sans cesse en mouvement, délivrant des messages peu nuancés, le plus souvent publicitaires. Apprenons à donner du temps à une œuvre, en dépassant notre première impression. Si l’œuvre est magistrale comme Les Noces de Cana de Véronèse, il faut entrer peu à peu, en distinguant les principaux personnages, suivre les lignes de perspective données par la structure architecturale du décor, saisir le sens de ce banquet, rappeler la page d’Évangile qu’elle illustre, en donnant le contexte de la création de ce tableau gigantesque, feu d’artifice de figures et de couleurs, destiné à un réfectoire de moines !

Décrire ce que l’œuvre nous donne, sans extrapoler ni recourir à des connaissances annexes.
Dans un contexte où le virtuel occupe beaucoup d’espace dans l’esprit des élèves, revenons au réel par la description factuelle et la recherche de détails, ce qui les passionne toujours. Cette approche objective habitue à justifier ce que l’on ressent, à chercher des mots précis pour dire ses émotions ou celles des personnages des tableaux, pour décrire les matières, les couleurs, nommer les objets. Ainsi jaillit la nuance dans la discussion. Ceci est bon pour l’esprit, pour la conscience et pour la formation du goût. Que savons-nous de cette dentellière ? Peu de chose. Voyons plutôt où nous conduit Vermeer avec son talent et le regard qu’il porte sur son sujet : respect, admiration, silence, dans ce tout petit tableau de 24 x 21 cm…

Goûter l’héritage culturel et s’en nourrir.
La transmission de notre culture passe par la mise en contact avec les œuvres du patrimoine. “Voici qui nous sommes, ce dont nous sommes dépositaires, ce que les siècles passés nous ont laissé.”
Certains enfants ne sont jamais entrés dans les musées – certains professeurs, rarement – par peur de ne pas savoir, de ne pas comprendre. “Je n’y connais rien”. Montrer par ce travail qu’il n’y a rien à savoir pour goûter. Cela donne la confiance en soi, en son propre jugement. C’est donc un élément essentiel de libre arbitre, de formation de l’esprit critique.
Voici un exemple magnifique d’intériorité, de lien père-fils, du visible qui conduit à l’invisible. Observons puis donnons la clé de ce tableau de Saint Joseph et Jésus, de Georges de La Tour, l’enfant éclairant son père qui travaille une pièce de bois. Un montant de la croix ? Peut-être, le tableau ne le dit pas. Le clair-obscur est un héritage du Caravage que nous aurons vu juste avant, soulignant les influences au sein de l’Europe.

Quand une culture va mal, les arts ne se portent pas bien.
Sans en faire un absolu, il est intéressant de constater, au cours du 18e siècle, un glissement vers l’émotionnel ainsi qu’une perte d’inspiration et de souffle, notamment dans le choix des sujets, même chez les peintres les plus talentueux. Ici, Fragonard, peintre magistral et prolifique, La chemise enlevée.

Là où le sentiment prime, la manipulation des esprits n’est pas loin.
Quand une société malade cesse de regarder vers le haut, la culture ne magnifie plus le sacré. La “peinture morale” devient artificielle, comme celle de Greuze L’accordée de Village, encensée par Diderot.

Cela ne s’assène pas mais se montre par comparaison et touches successives.
Peut-être une clé de discernement pour aborder l’art contemporain et apprendre à y trouver le meilleur ?
Ceci fera l’objet de notre dernier cours. Apprendre à voir pour discerner et ne pas passer à côté de chefs d’œuvre, quel beau programme pour des professeurs qui s’émerveillent avec leurs élèves !
Valérie d’Aubigny – 16 février 2022.